Ménagerie nocturne

Demain, commence l’été. Cette saison qu’on attend toute l’année, mais qu’on redoute un peu aussi quand elle déborde. Depuis quelques jours déjà, le soleil tape fort, les trottoirs fondent, les fronts perlent et les nerfs commencent à chauffer.

Heureusement, la nuit permet encore de revenir à des températures plus clémentes. On retrouve alors le bonheur de dormir les fenêtres grandes ouvertes sur un silence apaisant, seulement troublé par quelques grillons en service de nuit, de profiter de l’air frais, d’écouter le chant des oiseaux vous caresser doucement l’oreille dès l’aube comme pour vous inviter à prendre une tasse de chicorée sur la terrasse à 6 h 00.

On trouverait presque des bienfaits à ce début de canicule ! Oui, c’est beau, c’est paisible, c’est… poétique !

Sauf que cette nuit, à 2 h 56 précises, la poésie s’est enfuie, brutalement interrompue par une horde d’ados fêtards en pleine forme — ou en pleine biture —, qui ont cru bon de brailler comme une ménagerie de singes en folie entre deux canettes de Despé...

Je me suis réveillée en sursaut, sans comprendre d’où venait cette fiesta, paniquée à l’idée que l’enfant se réveille. Et puis j’ai pensé (ça m’arrive parfois, même en pleine nuit, faut pas croire…) : mais pourquoi ce besoin impératif de hurler au monde, à la lune, et surtout sans aucune considération pour les voisins ?

De mon temps — oui, oui, je l’avoue, je suis une vieille réac — quand on faisait la nouba, on avait la politesse de prévenir les voisins. Et surtout, passé une certaine heure, on baissait le volume. Parce que la nuit, c’est sacré. Et le sommeil, c’est sacré aussi.

Bon, alors, me voilà prise entre deux feux :

D’un côté, le général d’infanterie qui vit dans mon hémisphère droit conspue ce manque élémentaire de savoir-vivre. Pour une génération qui n’a que le mot « respect » à la bouche, disons que je trouve ça un peu fort de café.

Je me suis donc surprise à imaginer une répression à la hauteur du délit façon Quentin Tarantino ; un arrachage d’ongles avec la même douceur que cette agression nocturne. Au moins, là, ils sauront pourquoi ils hurlent et réfléchiront à deux fois avant de fêter la fête nationale jusqu’au 15 juillet.

Bon, j’avoue, ce matin, en écrivant ces quelques lignes, je trouve ma réaction un peu sadique et mal calibrée. Pourtant, au milieu de la nuit, ce fantasme me semblait presque juste !

D’un autre côté, la baba cool qui déambule en sarouel dans mon hémisphère gauche me souffle doucement de faire preuve d’un peu de mansuétude ; « Pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » ! Bah oui ; paraît que les nouvelles générations sont de plus en plus « gauches » et dotées d’une capacité de réflexion digne d’un Windows 95 à l’ère de la fibre…

Ce n’est tout de même pas leur faute si les écrans que la génération précédente leur a inventés et vendus (pour mieux critiquer ensuite leur dépendance) les rendent aussi manipulables qu’un pigeon devant une frite !

Et, Mesdames, Messieurs les jurés, si d’aventure il fallait encore les défendre : voyez ! Le monde ne leur épargnera rien ; guerres, réchauffement climatique, désillusions sociétales…  

Un tel brouhaha n’est finalement ni plus ni moins qu’une preuve de vie, le cri vibrant de leur existence ! Ces petits font la fête comme on doit terminer le contenu de son assiette parce qu’ « il faut penser à ceux qui n’ont rien à manger » ! Faut-il les condamner pour cela ?

Réjouissons-nous ! Ces gamins-là font la fête parce que c’est naturel. Parce que c’est leur façon de vivre, de respirer, de dire qu’ils existent. Et quand on sait que dans d’autres contrées, écouter de la musique, danser, ou simplement s’amuser conduit directement aux portes de l’Enfer sans passer par la case « tolérance », je me plais à conclure que, peut-être, ces cris de singes nocturnes, aussi dérangeants soient-ils, sont un hymne à la liberté.  

N’empêche que cette nuit, je leur aurais bien balancé mon 40 fillette quelque part, en hommage appuyé à ma sacro-sainte paix nocturne !

Non mais !  

Suivant
Suivant

Fait trop chaud !