Souquez ferme !

En cette fin de mois de mai, Mini CEO montre quelques signes de fatigue. Il est temps que l’année scolaire se termine ! Je le sens, il aspire à ralentir et à penser à d’autres choses qu’à ses tables de multiplication.

Son plus grand bonheur du moment : s’enfermer dans sa chambre pour lire, allongé sur son lit, au calme (mais que quand même ! Si je lance APT de Bruno Mars et Rosé, il déboule en se dandinant).

Mais pour l’heure, il songe. Il songe que, bientôt, il sera de retour sur son rocher breton et pourra rêver à loisir devant l’Île Tome.

L’Île Tome… Ce bout de terre sauvage qui l’obsède.

Ce qu’il aimerait, lui, c’est être suffisamment grand – et musclé – pour sauter dans le kayak ou sur le paddle de Môman et poser pied sur cette île mystérieuse. Parce que l’Île Tome, c’est un ancien repaire de pirates, évidemment. Et qui dit pirates, dit trésor. C’est la règle.

Le problème, c’est qu’il est encore un peu petit pour partir à l’abordage en solo. Maman ne validerait jamais. Papa non plus, finit-il par concéder dans un soupir façon Capitaine Jack Sparrow.

Un jour… Un jour, il ira voir comment c’est fait là-bas !

Il ne le sait pas encore mais c’est, forbidden, verboten, prohibido, vietato, bref interdit, because réserve ornithologique. Je me garde de lui dire ; il est un peu tôt pour sabrer ses rêves à coup de normes administratives.

Néanmoins, je tempère ses ardeurs de jeune flibustier édenté.  

— Tu sais que les pirates de l’île Tome ont mal fini ?

— Ah bon ? Pourquoi ?

Bouge pas mon petit, j’arrive ! Il m’en faut rarement plus pour débarquer avec ma science et lui raconter une version simplifiée de l’histoire de la bataille entre les habitants de Perros-Guirec et les pirates espagnols de l’île Tome, quelque part au fond du XVIIe !

Nous sommes en août 1648…

Depuis plusieurs semaines, une frégate espagnole rôde dans la baie de Trestraou. Elle pille la cargaison des pêcheurs et sème la terreur parmi les habitants de Perros Guirec. Tout le monde le sait : elle mouille là-bas, au large, sur les rives de l’île Tome.

Alors, en ce jour du 28 août 1648, un notable de Lannion (oui Mini CEO, là où y a de gentils punks à chien qui jouent du bignou) demande à être reçu par le sénéchal René du Trévou. Les gens n’en peuvent plus, il faut agir !

Avec l’aval du sénéchal, un groupe de marins plus remontés que les autres, menés par le courageux Le Goadic, décide de mener un raid nocturne contre les pirates.

Après avoir réuni une vingtaine d’hommes au cœur vaillant, armés jusqu’aux dents et avec de bons biscotos (faut souquer ferme pour atteindre l’île quand même !).

Ça veut dire quoi « souquer ferme » ?

— Euh… ramer fort, fort.   

Je poursuis.

La mer est calme. La nuit silencieuse, complice de leur entreprise, enveloppe l'île de son manteau d'obscurité. Deux embarcations bretonnes approchent furtivement la frégate pirate.

L'abordage est rapide, violent. On entend comme une explosion de métal et de cris dans la nuit étoilée. Les pirates, surpris en plein sommeil, opposent toutefois une résistance farouche ! Mais la détermination des gentils Bretons est inébranlable.

Le Goadic mène ses hommes avec une bravoure héroïque ! Après deux heures d'un combat acharné, la victoire tourne en faveur des gentils armoricains. Les pirates, terrifiés par l’attaque fulgurante de cette horde de justiciers pas contents-contents sont vaincus.

Le message clair : « Laissez-nous tranquille ! Voler c’est mal, tuer c’est moche ! ».

Voilà.

Les eaux de la baie de Trestraou sont de nouveau libres.

Le capitaine des pirates, le terrible Laurence de Recavaren à la barbe aussi noire que ses ongles crasseux est capturé et emmené à Lannion pour y être jugé et ça n’a pas dû se passer façon justice du XXIe siècle : angélisme et médiation !

Quoiqu’en vérité, les archives historiques ne disent rien sur le sort qui lui fut réservé… Je te l’accorde, on reste un peu sur sa faim. Quand tu seras plus grand, j’irai extirper mes vieux cours d’histoire du droit pénal du grenier pour te raconter comment on traitait les vilains forbans dans ces coins de France.

Je suis toujours en plein vol narratif quand Mini CEO me coupe très calmement :

— Ouais mais « souquer ferme », c’est quand même trop dur… Boh, c’est pas grave, on prendra le bateau, plutôt, et on ira voir les phoques et les fous de Bassan ! Ça suffira.

Fin de l’épopée.

De mon côté, la maison de pêcheur est bouclée depuis octobre, je potasse régulièrement le topoguide du GR34 et rêvasse aux crêpes, tagliatelles aux coques et autres fars aux pruneaux de Charmant CEO.

En déroulant le fil de ces vacances à venir, je me surprends moi aussi à rêver de l’Île Tome et contemple, depuis chez moi, cette grande étendue d’eau turquoise

Et je bute – encore et toujours – sur ce massif des Bauges, planté là, comme une verrue savoyarde, un obstacle géologique à mon imaginaire maritime.

Pardon, amis Annéciens… mais votre lac donne un peu l’impression de vivre dans une (jolie) bassine.

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